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Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 3, Mars 2024
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Page(s) | 227 - 228 | |
Section | Editorial | |
DOI | ||
Publié en ligne | 22 mars 2024 |
Recherche participative en santé : pourquoi et comment la développer ?
Participatory health research: why and how to develop it?
Paul Olivier1, Catherine Barthélémy2,3,4 et Fabian Docagne5,6*
1
Chef de projet du GIS autisme et TND – Inserm. Institut thématique Neurosciences, sciences cognitives, neurologie, psychiatrie. Paris, France
2
Faculté de Médecine de Tours. Tours, France
3
Présidente du Groupe de réflexion avec les associations de malades (Gram) – Inserm. Paris, France
4
Présidente de l’Académie Nationale de Médecine. Paris, France
5
Responsable du service sciences et société – Inserm. Paris, France
6
Inserm, COMETE UMR 075, Unicaen, Cyceron, CHU Caen. Caen, France
La recherche participative et ses déclinaisons (recherche partenariale, communautaire ou citoyenne) ont vocation à produire de nouvelles connaissances scientifiques sur la base d’une participation active et délibérée d’acteurs de la société civile1. Dans le domaine de la santé, ces acteurs comprennent toutes les personnes concernées par la maladie et les troubles (malades, personnes concernées, proches, aidants, professionnels du soin et du domaine médico-social, etc.). Leur participation peut se faire à toutes les étapes d’un projet de recherche: formulation de la question de recherche, établissement de la méthode et du protocole, choix des modèles d’étude, rédaction de questionnaires, analyse et diffusion des données, etc. Les approches participatives, qui ont historiquement marqué le champ de la recherche sur le VIH [1], puis qui ont montré leur pertinence dans d’autres domaines tels que les maladies rares ou le cancer [2], concernent aujourd’hui toutes les thématiques de recherche en santé.
En faisant évoluer les postures réciproques et la nature des échanges entre chercheurs et acteurs de la société civile, et en les amenant à travailler en commun, la recherche participative met en lumière la complémentarité des savoirs académiques et expérientiels. Souvent, ce mode de recherche met aussi en jeu la collaboration et la transversalité entre disciplines scientifiques, spécialités ou métiers habituellement cloisonnés. Ces échanges permettent de faire émerger des questions inédites et de donner des réponses plus adaptées aux attentes et aux besoins des personnes concernées, parfois impliquant des populations ou des groupes éloignés de la recherche ou de la démarche d’innovation. Cela contribue également à une perception positive des scientifiques par la société, et garantit une meilleure acceptabilité des innovations en santé. Ensuite, l’approche participative permet de produire des données de meilleure qualité en développant, par la concertation entre partenaires, des méthodes respectant autant les réalités des personnes concernées que les exigences de rigueur scientifique. Enfin, la recherche participative est un levier important à considérer pour l’innovation en matière de santé: en effet, la co-construction et la coréalisation de la recherche peuvent permettre l’évaluation rigoureuse d’interventions empiriques dans l’optique de modifier les pratiques et les politiques publiques de soin, de prévention et de prise en charge. De même, la consultation de l’ensemble des personnes concernées (soignants, aidants et malades) dès les étapes précoces de développement d’une innovation en santé (dispositif, médicament, intervention) est cruciale pour en estimer la faisabilité et l’acceptabilité – et pas uniquement l’efficacité – et aider ainsi à son implémentation dans la pratique. Ces différents apports de la recherche participative justifient l’engouement récent des instances nationales et internationales: loi de programmation de la recherche visant à renforcer les liens entre sciences et société, intégration de la recherche participative dans les objectifs du plan stratégique de l’Inserm, label universitaire « sciences avec et pour la société (SAPS) », appels à projets dédiés de l’Agence nationale de la recherche, identification des « défis sociétaux » parmi les priorités du programme H2020 de l’Union européenne, etc. Toutefois, « La mode, c’est ce qui se démode », disait Jean Cocteau. Alors comment dépasser l’effet de mode et d’annonce pour inscrire réellement et durablement la recherche participative dans la pratique comme une modalité de recherche à envisager chaque fois que cela est possible et adapté à la problématique? Comment créer des opportunités de partenariats avec la société et faire émerger des projets opérables? Comment faire pour que ces projets atteignent leurs objectifs et que les partenariats se pérennisent? Malgré des avancées récentes, la recherche participative en santé reste encore peu développée dans de nombreux champs, et demeure fragmentée à l’échelle de notre territoire national. Il y a donc un risque de mettre en œuvre des méthodes qualitativement hétérogènes, avec plusieurs conséquences: biais entachant les études, défiance vis-à-vis des innovations qui découlent de la recherche, et plus largement, défiance vis-à-vis de la démarche et de la communauté scientifique et médicale en générale. Le partage et la diffusion large de méthodes participatives ayant déjà fait preuve de concept est donc un point crucial. Il est primordial de favoriser pour tous l’accès aux outils standardisés, mais aussi adaptés à la diversité des partenariats de recherche. Ces efforts resteront vains s’il n’y a pas de reconnaissance de la légitimité d’expertise de chacun des partenaires. Le développement de la recherche participative passe par une acculturation mutuelle, aussi bien des parties prenantes (formation effective concernant la recherche et son écosystème) que des chercheurs (connaissance du monde associatif, communication vers le public, etc.).Structurer le cadre de la recherche participative est aussi nécessaire pour éviter la dispersion des moyens et aider à mettre en synergie les forces en présence. Ce passage souhaitable à l’échelle nationale, voire internationale, doit s’appuyer sur les structures jouant le rôle d’interface entre les partenaires: les instituts de recherche et les fédérations d’associations, mais également les réseaux scientifiques qui œuvrent à renforcer les partenariats entre patients, personnes concernées, praticiens et chercheurs2.
Le financement de la recherche participative doit être repensé pour permettre la pleine participation à la recherche. Du fait de la diversité des partenaires, les étapes préparatoires aux projets de recherche participative nécessitent davantage de temps que pour un projet « classique ». La durée de quelques mois des appels à projets est souvent trop courte au regard de cette réalité: les consortiums sont contraints d’avancer « à marche forcée » sous peine de manquer des opportunités. Lorsqu’ils sont financés, ils pâtissent alors souvent d’incompréhensions persistantes entre les différents partenaires (prise en compte des besoins, rôle et compétences de chacun, etc.). Il convient donc de prendre en compte ces phases préparatoires, d’une part à travers des actions dédiées3 et, d’autre part, en allongeant les délais entre ouverture des appels et dépôt des dossiers. Il est aussi nécessaire d’orienter une part des fonds aux besoins spécifiques des associations: dédommagement, financement de temps associatif, voire rémunération des co-chercheurs associatifs dans les phases effectives de réalisation de la recherche. Le cadre réglementaire doit également évoluer pour permettre que les associations soient financées au titre de partenaires à part entière.
Enfin, le levier de l’évaluation est aussi très important: il est crucial de faire reconnaître les modalités de recherche participative, au même titre que des recherches plus « classiques », dans le recrutement et l’évaluation des carrières des chercheurs, l’évaluation des structures de recherche ou les appels d’offres nationaux. Pour cela, il est urgent de définir, en concertation avec les chercheurs et les bailleurs, des indicateurs spécifiques, adaptés à la pratique, en plus des indicateurs habituels de production et de valorisation. Il convient également de mettre en place une évaluation en aval - ou mieux encore, une évaluation « embarquée » intrinsèque aux projets de recherche - afin d’estimer si la recherche participative remplit bien les missions qui lui sont attribuées: modification des postures, citation de l’ensemble des partenaires (y compris les partenaires associatifs, encore trop souvent « oubliés » dans les signataires et les remerciements), production de connaissances scientifiques, données de meilleure qualité, réponses aux questions posées par les personnes concernées, « retour vers la société », modification des pratiques, etc. Le changement de paradigme que produit la recherche participative nous invite à nous interroger sur la place des différents partenaires, notamment celle des patients et des personnes concernées, dans la gouvernance et le pilotage de la recherche. Si le savoir expérientiel peut éclairer les projets, il peut aussi bénéficier aux orientations scientifiques de notre pays. Il semblerait pertinent d’associer ces représentants, et cela à tous les niveaux du pilotage de la recherche (ministères, instituts, opérateurs de financement). En plus de garantir une meilleure prise en compte des besoins des personnes, la recherche participative renforce la prise de conscience collective sur la nécessité de soutenir la recherche, de la plus fondamentale à la plus appliquée.Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Rhodes SD, Malow RM, Jolly C. Community-based participatory research: a new and not-so-new approach to HIV/AIDS prevention, care, and treatment. AIDS Educ Prev 2010; 22: 173–83.
- Tossas KY, Watson KS, Colditz GA, et al. Advocating for a “Community to bench model” in the 21st century. EBioMedicine 2020; 53: 102688.
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