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Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 3, Mars 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 298 - 300 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
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Publié en ligne | 22 mars 2024 |
Comment la Nature peut nous aider à lutter contre les infections bactériennes ?
How can nature help us fight bacterial infections?
Maëlan Deschamps-Biboulet1a, Théo Fayolle1b, Théo Ziegelmeyer2c et Véronique Frachet2,3d
1
Master 2 Sciences du vivant, Parcours IMaGHE, Université Paris, Sciences et Lettres (PSL), École Pratique des Hautes Études (EPHE), 75014 Paris, France
2
Institut pour l’avancée des Biosciences, Inserm U1209, UMR CNRS 5309, Université Grenoble Alpes, 38700 La Tronche, France
3
EPHE, Université PSL, 75014 Paris, France
a maelan.deschamps--biboulet@etu.ephe.psl.eu
b theo.fayolle@etu.ephe.psl.eu
c theo.ziegelmeyer@univ-grenoble-alpes.fr
d veronique.frachet@ephe.psl.eu
Les dispositifs médicaux réutilisables (scalpels, ciseaux, etc.) sont couramment utilisés en médecine. Après usage, il est nécessaire de les décontaminer et de les stériliser pour éviter la transmission d’agents à l’origine d’infections nosocomiales. Diverses solutions existent, telles que le trempage dans des solutions désinfectantes ou l’irradiation aux rayons ultra-violets (UV). Des essais ont aussi été réalisés avec des matériaux dans lesquels des antibiotiques ont été incorporés. Cependant, une des problématiques majeures est la résistance des bactéries aux antibiotiques. Il est donc impératif de trouver des solutions innovantes autres que les antibiotiques pour limiter l’émergence de bactéries multi-résistantes [1,2].
Une alternative est de s’inspirer de ce que l’on trouve dans la nature, où l’une des stratégies antibactériennes est l’utilisation de nanostructures [3]. Il a été observé que les ailes de cigales Psaltoda calripennis sont recouvertes de petits pics de quelques nanomètres de hauteur, qui peuvent percer et ainsi tuer les bactéries qui tentent de se fixer sur leurs ailes comme Pseudomonas aeruginosa. Des chercheurs ont donc créé des surfaces reproduisant ces nanostructures sur différents types de biomatériaux (titane, silicone, carbone) qui acquièrent ainsi des propriétés mécano-bactéricides [4]. L’une des limites de ces surfaces est leur contamination par les débris bactériens qui subsistent une fois les bactéries lysées. Afin de résoudre ce problème, l’équipe de Luquan Ren a présenté récemment une nouvelle stratégie [5]. Ces auteurs ont combiné une surface nanostructurée avec un polymère zwitterionique, le polyDVBAPS (poly(3-(dimethyl(4-vinylbenzyl) ammonio)propyl sulfonate) greffé en surface. Il s’agit d’un composé dont la charge varie en fonction du pH. Ainsi, l’ajout de sel sur la surface induit une reconfiguration réversible du polyDVBAPS qui permet le relargage des débris bactériens et d’éventuelles bactéries vivantes [6,7]. Dans leur article, l’objectif des auteurs est d’étudier l’efficacité, puis la biocompatibilité de ce matériau in vitro et in vivo dans des modèles murins.
Développement d’un nouveau biomatériau bactéricide permettant le relargage des débris bactériens
Les progrès en nano-ingénierie des matériaux permettent de reproduire les nanostructures présentes à la surface des ailes de cigales à la surface de polymères. Dans cette étude, les auteurs ont obtenu une surface nanostructurée par gravure chimique, en plongeant un polymère à base de bisphénol A dans de la soude. Les auteurs ont vérifié le relief créé sur leurs surfaces par microscopie électronique à balayage. Ils obtiennent une topographie ressemblant à celle des ailes de cigales, constituée de « piliers » de 100 nm de hauteur, espacés de 450 nm.
Figure 1. Schéma récapitulatif du mode d’action d’un nouveau biomatériau avec des propriétés antibactériennes. (1) Les bactéries (en rouge) adhèrent au biomatériau (bleu : nanopiliers, marron : composé polyzwitterionic), ce qui provoque une rupture de leur membrane (2) induisant la lyse des bactéries. L’ajout de NaCl (3) permet un réarrangement de l’agent polyzwitterionic provoquant le relargage des débris bactériens (4). Avant d’être réutilisé, le biomatériel est lavé avec un tampon neutre. |
Afin de vérifier l’efficacité bactéricide de leurs surfaces, des bactéries fluorescentes (Escherichia coli et P. aeruginosa) ont été déposées sur leur matériau nanostructuré ou lisse. Après 30 min, les bactéries sont lysées sur la surface nanostructurée. Par contre, aucune mortalité bactérienne n’est induite par le matériau lisse. L’adhérence à la surface nanostructurée déforme les bactéries, ce qui conduit finalement à la rupture de leur paroi bactérienne (gram positive ou gram négative). Cependant, il est ensuite impossible de retirer les débris bactériens, potentiellement toxiques, qui s’accumulent à la surface du biomatériau.
Pour répondre à cette problématique, les auteurs ont testé l’intérêt de leur couche de polymère pour induire le relargage des déchets bactériens. En conditions neutres, l’attraction électrostatique entre les charges positives et négatives du polyDVBAPS donne au polymère une organisation en « amas ». L’ajout de NaCl, qui contient à la fois des ions positifs (Na+) et négatifs (Cl-), va rompre ces interactions électrostatiques et provoquer un réarrangement plus organisé formant une sorte de « brosse », plus susceptible de favoriser le relargage des débris bactériens. De plus, cette réorganisation augmente l’hydrophilie de la surface, défavorable à l’adhérence des bactéries. Pour le démontrer, les auteurs ont réalisé plusieurs cycles d’une séquence d’incubation avec des bactéries, suivie de l’immersion du matériau dans du NaCl. La surface nanostructurée non traitée avec du tampon salin voit la concentration de bactéries présentes en surface augmenter avec le nombre d’utilisations. À l’inverse, sur les surfaces traitées avec le tampon salin, il n’y a plus de trace de bactéries à leur surface. De plus, l’expérience a été réalisée plusieurs fois de suite, sans perte d’efficacité de l’activité bactéricide du matériau, témoignant de la possibilité de sa réutilisation.
Un nouveau biomatériau biocompatible et réutilisable
L’un des points critiques dans le développement de ce type de surface est leur biocompatibilité. En effet, les matériaux possédant des activités anti-bactériennes peuvent être toxiques et hémolytiques (lyse des globules rouges) [8]. Les auteurs se sont donc intéressés à l’effet de leur matériau sur des globules rouges. Pour cela, ils ont incubé des globules rouges de souris avec leur surface. À l’aide de marqueurs de viabilité, les auteurs ont montré que leur biomatériau n’affecte pas la viabilité des globules rouges, et ne modifie pas l’intégrité de leur membrane. De même, les surfaces nanostructurées n’altèrent ni l’adhérence, ni la croissance des fibroblastes. Ce nouveau matériau apparait donc compatible avec les cellules eucaryotes. Celles-ci, beaucoup plus grosses que les bactéries et n’ayant pas de paroi, sont plus aptes à se déformer sans pour autant subir de dommages.
Enfin, les auteurs ont testé les propriétés de ce nouveau biomatériau in vivo. Ils ont ainsi développé un modèle d’implantation de leur biomatériau sous la peau de souris. En termes de biocompatibilité, l’implant semble être bien accepté, puisqu’après 5 jours, aucune inflammation n’a été observée au niveau de la greffe et dans les tissus autour de l’implant.
En infectant leur matériau avec des bactéries avant son implantation par voie sous-cutanée, les auteurs ont finalement testé l’efficacité bactéricide de leur matériau in vivo. Les tissus au site d’implantation ont été récupérés trois jours après la greffe. Avec un implant correspondant au biomatériau lisse, avec ou sans traitement au NaCl, les auteurs ont observé une infiltration de cellules immunitaires ainsi qu’une réponse inflammatoire forte, conséquence de l’infection bactérienne du matériau. Cependant, lors de la greffe d’une surface nanostructurée, très peu de cellules immunitaires sont recrutées au sein du tissu. Cela reste vrai même si la surface nanostructurée subit trois cycles de contamination et lavages par immersion dans le NaCL avant l’implantation. Les résultats sont très clairs : le matériau conserve des propriétés bactéricides inchangées par rapport à la première infection.
Conclusion
Dans cette étude, les auteurs ont ainsi identifié un matériau inspiré du vivant et possédant des propriétés mécano-bactéricides grâce à la présence de nano-piliers en surface. De plus, l’ajout d’un polymère de polyDVBAPS, dont l’organisation structurale est modifiée en présence de sel, permet de mieux éliminer les débris bactériens présents sur la surface.In vitro, ce matériau est efficace sur deux modèles bactériens : Pseudomonas aeruginosa et Escherichia coli et conserve son efficacité même après plusieurs utilisations. Ce matériau est biocompatible car il n’induit ni hémolyse, ni perte de viabilité cellulaire des cellules eucaryotes. Enfin, il n’induit pas d’inflammation locale tissulaire après implantation in vivo.
Cette nouvelle surface bactéricide, biocompatible et réutilisable, est donc prometteuse pour des applications biomédicales dans les industries de santé. Elle permettrait de réduire le risque de contamination bactérienne des surfaces et simplifierait la gestion des déchets. En effet, une simple immersion dans du NaCl permet de relarguer les débris bactériens et/ou potentielles bactéries vivantes non éliminées par les nanostructures. Cette surface pourrait être utilisée sur des dispositifs à usage médical (sondes, prothèses, petit matériel de chirurgie, etc.). Ce serait une solution innovante de lutte contre des infections bactériennes nosocomiales.Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Hassoun-Kheir N, Stabholz Y, Kreft J-U, et al. Comparison of antibiotic-resistant bacteria and antibiotic resistance genes abundance in hospital and community wastewater: A systematic review. Science Total Environment 2020; 743 : 140804.
- Sharma VK, Johnson N, Cizmas L, et al. A review of the influence of treatment strategies on antibiotic resistant bacteria and antibiotic resistance genes. Chemosphere 2016 ; 150 : 702–714.
- Patil D, Overland M, Stoller M, et al. Bioinspired nanostructured bactericidal surfaces. Curr Opin Chemical Engineering 2021; 34.
- Ivanova EP, Hasan J, Webb HK, et al. Bactericidal Activity of Black Silicon ». Nat Comm 2013 ; 4 : 2838.
- Liu Z, Yi Y, Song L, et al. Biocompatible mechano-bactericidal nanopatterned surfaces with salt-responsive bacterial release. Acta Biomaterialia 2022; 141 : 198–208.
- Wu B, Zhang L, Huang L, et al. Salt-Induced Regenerative Surface for Bacteria Killing and Release. Langmuir 2017 ; 33 : 7160–7168.
- Huang L, Zhang L, Xiao S, et al. Bacteria killing and release of salt-responsive, regenerative, double-layered polyzwitterionic brushes 2018. Chemical Engineering Journal 2018 ; 333 : 1–10.
- Korolev D, Shumilo M, Shulmeyster G, et al. Cytotoxicity, and Antimicrobial Effects of Human Albumin- and Polysorbate-80-Coated Silver Nanoparticles. Nanomaterials 2021; 11 : 1484.
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Liste des figures
Figure 1. Schéma récapitulatif du mode d’action d’un nouveau biomatériau avec des propriétés antibactériennes. (1) Les bactéries (en rouge) adhèrent au biomatériau (bleu : nanopiliers, marron : composé polyzwitterionic), ce qui provoque une rupture de leur membrane (2) induisant la lyse des bactéries. L’ajout de NaCl (3) permet un réarrangement de l’agent polyzwitterionic provoquant le relargage des débris bactériens (4). Avant d’être réutilisé, le biomatériel est lavé avec un tampon neutre. |
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