Numéro |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 3, Mars 2024
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Page(s) | 275 - 282 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | ||
Publié en ligne | 22 mars 2024 |
Tri des cellules sénescentes par cytométrie en flux
Des spécificitéset des pièges à éviter
Sorting of senescent cells by flow cytometry: Specificities and pitfalls to avoid
Élodie Rodzinski1, Nathalie Martin1, Raphael Rouget1, Adrien Pioger1, Vanessa Dehennaut1, Olivier Molendi-Coste2, David Dombrowicz3, Erwan Goy1, Yvan de Launoit1 et Corinne Abbadie1*
1
Univ. Lille, CNRS, Inserm, CHU Lille, UMR9020-U1277 - CANTHER ( Cancer Heterogeneity Plasticity and Resistance to Therapies ), F-59000 Lille, France
2
Univ. Lille, CNRS, Inserm, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, US41 – UAR 2014 – PLBS, F-59000 Lille, France
3
Univ. Lille, Inserm, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, U1011 - EGID, F-59000 Lille, France
© 2024 médecine/sciences – Inserm
La sénescence, un état cellulaire physiopathologique
La sénescence cellulaire a été décrite pour la première fois au début des années 1960 par Leonard Hayflick et Paul S. Moorhead de l’Institut Wistar à Philadelphie, aux États-Unis [1, 2]. Le concept proposé alors (que la sénescence serait une forme de vieillissement cellulaire) n’a suscité que peu d’intérêt jusqu’au début des années 2000. Ce concept a même été contesté, car considéré comme un artéfact de culture in vitro de cellules primaires [3]. Aujourd’hui, il est établi que ce processus d’adaptation et de reprogrammation cellulaires, spontané ou induit prématurément par des stress, joue un rôle causal dans l’embryogenèse, la réparation et le remodelage tissulaires, mais aussi dans le vieillissement physiologique des organismes, ainsi que dans la survenue de nombreuses maladies liées à l’âge ou induites par des stress [4, 5] (→).
(→) Voir le numéro thématique Vieillissement et mort, de la cellule à l’individu, m/s n°12, décembre 2020
De plus, il est maintenant établi que de nombreux traitements anti-cancéreux (notamment les chimiothérapies conventionnelles et la radiothérapie) agissent principalement en induisant la mort des cellules cancéreuses, mais aussi en partie en induisant leur sénescence [6].
Les cellules sénescentes présentent un ensemble de modifications phénotypiques et moléculaires permettant de les caractériser : une augmentation de taille ; un arrêt dans le cycle cellulaire, dû à l’augmentation d’expression d’inhibiteurs de kinases dépendant des cyclines (CDK, cyclin-dependent kinase), p21 et p16 ; un stress oxydant ; la présence de dommages à l’ADN non réparés ; une accumulation de lipofuscine ; un stress du réticulum endoplasmique ; une augmentation d’activité autophagique ; une reprogrammation épigénétique ; une perte de lamine B11 ; une reprogrammation métabolique et une reprogrammation du sécrétome2 vers un enrichissement en cytokines pro-inflammatoires et en enzymes de remodelage de la matrice extracellulaire [7–9]. Les cellules sénescentes sont des cellules viables, à longue durée de vie, qui s’accumulent dans les tissus. La viabilité de ces cellules repose sur leur capacité à résister à l’apoptose par le biais de modifications de l’expression de diverses protéines, comme les protéines anti-apoptotiques de la famille BCL2 (B cell lymphoma 2), HSP90 (heat shock protein 90), la caspase 3 ou TP53 (tumor protein 53) [4, 10, 11].
Le phénotype sénescent présente cependant une certaine hétérogénéité, selon le type de cellules considérées et/ou l’inducteur de la sénescence. Cette hétérogénéité concerne des modifications phénotypiques et moléculaires, mais aussi la stabilité du phénotype et le devenir des cellules sénescentes. On distingue au moins quatre sous-types de sénescence. La sénescence décrite par Hayflick et Morehead correspond au premier sous-type, appelé désormais sénescence réplicative (RS pour replicative senescence). Ce sous-type de sénescence résulte de l’érosion des télomères à chaque cycle de réplication ; lorsque les télomères deviennent trop courts, les extrémités des chromosomes se retrouvent exposées, ce qui induit une signalisation de réponse aux dommages à l’ADN (DNA damage response) persistante, responsable de l’induction et de l’irréversibilité du phénotype de sénescence réplicative. Les cellules cancéreuses échappent le plus souvent à ce type de sénescence, en mettant en place des mécanismes permettant le maintien de la longueur des télomères [12]. Contrairement à la sénescence réplicative, les trois autres sous-types de sénescence peuvent toucher des cellules saines mais aussi des cellules cancéreuses, et le phénotype sénescent, quoique stable sur une certaine période, peut évoluer vers une mort cellulaire ou vers un échappement. On distingue ainsi la sénescence prématurée induite par un stress (SIPS pour stress-induced premature senescence), le plus souvent oxydant, la sénescence induite par les thérapies, notamment les radio et chimiothérapies anticancéreuses (TIS pour therapy-induced senescence), et la sénescence induite par certains oncogènes, comme par exemple le variant BRAFV600E (ou OIS, pour oncogene induced senescence) [13] (→).
(→) Voir la Synthèse de E. Goy et C. Abbadie, m/s n° 3, mars 2018, page 223
Les cellules épithéliales humaines normales, telles que des kératinocytes ou des cellules mammaires, n’entrent pas en sénescence réplicative quand elles sont cultivées in vitro mais en SIPS, qui sera suivie, pour la quasi-totalité des cellules, d’une mort par autophagie ou, pour une très petite fraction d’entre-elles, par une ré-entrée dans le cycle cellulaire et une filiation de cellules pré-tumorales [7].
Pourquoi trier des cellules sénescentes ?
Des progrès considérables ont été réalisés au cours de ces vingt dernières années, permettant de comprendre les mécanismes moléculaires contribuant à l’induction de la sénescence et à son maintien. Néanmoins, de nombreuses « boîtes noires » persistent, notamment en ce qui concerne les mécanismes d’évasion cellulaire. Il demeure donc nécessaire de réaliser des études sur des populations de cellules sénescentes de différents types et induites en sénescence dans différents contextes physiologiques, pathologiques ou thérapeutiques. Or, une population de cellules induites en sénescence n’est jamais homogène : le pourcentage de cellules sénescentes peut varier considérablement en fonction du type d’inducteur ou du temps post-induction ; les marqueurs de sénescence peuvent être exprimés à des niveaux variables ; et, plus problématique pour l’interprétation des résultats, les populations de cellules sénescentes peuvent être polluées par des cellules proliférantes, soit pré-sénescentes, soit post-sénescentes, résultant de l’échappement des cellules à la sénescence. Trier les cellules sénescentes par cytométrie en flux permet donc d’obtenir des populations très enrichies en cellules présentant des marqueurs spécifiques de la sénescence, afin de pouvoir réaliser, en aval, des analyses moléculaires classiques, par RT-PCR (reverse transcription polymerase chain reaction) ou par western-blot par exemple. Cela permet également de séparer des sous-populations de cellules sénescentes exprimant plus ou moins les marqueurs de sénescence, c’est-à-dire plus ou moins engagées dans le processus et, finalement, de trier des cellules sénescentes viables pour étudier leur devenir, notamment la stabilité de leur phénotype, leur éventuelle mort ou l’échappement post-sénescent.
Les critères utilisables pour trier des cellules sénescentes
La sénescence est un état cellulaire maintenant bien reconnu, mais qui demeure difficile à définir et à caractériser. En effet, la sénescence se manifeste par plusieurs changements phénotypiques et moléculaires, mais aucune de ces modifications n’est strictement spécifique de la sénescence. Il n’existe donc pas de marqueur unique de sénescence. C’est la somme de ces modifications qui définit l’état de sénescence, ce qui oblige à recourir à la détection de plusieurs marqueurs simultanément [14]. C’est la raison pour laquelle nous avons mis au point, ces dernières années, des protocoles de tri de cellules sénescentes fondés sur l’utilisation simultanée de plusieurs marqueurs : la grande taille des cellules, leur forte granularité (qui reflète la présence dans leur cytoplasme de mitochondries altérées, d’agrégats de lipofuscine et de vésicules autophagiques), la quantité de vésicules acides (endosomes, lysosomes et autophagolysosomes) qu’elles présentent, et enfin, l’activité de la β-galactosidase3, (ou SA-β-Gal, pour senescence-associated b-galactosidase activity), le marqueur de sénescence le plus universel et le plus utilisé, qui reflète la quantité de lysosomes présents dans les cellules [15–20]. Dans nos premières études, nous avons trié les cellules uniquement selon deux paramètres : soit le couple taille (approximée par le forward scatter factor [FSC]) et granularité (approximée par le side scatter factor [SSC]) ; soit le couple taille et quantité de vésicules acides, après marquage par le Lysotracker®, un fluorochrome présentant une affinité pour les compartiments acides de la cellule [15–17]. Plus récemment, nous avons mis au point un tri fondé sur trois paramètres : la taille (FSC), la granularité (SSC) et l’activité β-Gal, en utilisant des substrats synthétiques fluorigènes commerciaux de la β-Gal [19–22].
Classiquement, le tri par cytométrie en flux de différents types de cellules différenciées, le plus souvent des cellules immunitaires, repose sur leur niveau d’expression d’une ou plusieurs protéines membranaires (ou CD pour cluster of differentiation). Pour l’analyse de cellules sénescentes, une étude par spectrométrie de masse a permis d’identifier CD26, également appelé DPP4 (dipeptidyl peptidase 4), comme une protéine dont la quantité présente à la membrane est très augmentée au cours de la sénescence [23]. Des protocoles de tri magnétique (ou MACS pour magnetic-activated cell sorting), utilisant des anticorps anti-CD26, ont été appliqués pour trier des cellules sénescentes au sein d’une population de cellules endothéliales ou de cellules mononucléées du sang périphérique (PBMC pour peripheral blood mononuclear cells) [23, 24]. Néanmoins, à l’instar des autres marqueurs de sénescence, le CD26 n’est pas strictement spécifique de la sénescence ; il est en effet fortement exprimé par les cellules cancéreuses, par exemple [25]. Ce marqueur pourrait donc probablement être utilisé pour trier les cellules sénescentes par cytométrie en flux, mais il serait nécessaire de l’associer à un ou plusieurs des autres marqueurs de sénescence que nous avons décrits.
Le protocole de tri des cellules sénescentes : ses difficultés, les pièges à éviter, et ses limites
Principe du protocole
Le protocole de tri de cellules sénescentes le plus récent utilise trois grandeurs mesurables par les cytomètres-trieurs conventionnels : le FSC, proportionnel à la taille des cellules ; le SSC, qui rend compte de la structure et de la granularité des cellules ; et l’intensité de fluorescence produite par un substrat synthétique fluorigène de la β-Gal [20]. Deux substrats de la β-Gal peuvent être utilisés : le C12FDG (5-dodecanoylaminofluorescéine di-β-D-galactopyranoside) et le DDAOG (9H-(1,3-dichloro-9, 9-diméthylacridine-2-one-7-yl) β-D-galactopyranoside). Lorsque le C12FDG est clivé par la β-Gal, le produit, C12F, émet une fluorescence verte et reste piégé à l’intérieur des cellules, probablement ancré dans les membranes grâce à la chaîne aliphatique C12 qui le constitue. Le DDAOG, dépourvu d’une chaîne aliphatique d’ancrage intracellulaire, fonctionne sur le même principe, mais le produit DDAO fluoresce dans l’infra-rouge (Tableau I). La sensibilité et la spécificité de ces deux substrats pour l’enzyme sont similaires [21].
Description et utilisation des substrats fluorigènes de la b-Gal pour le marquage et le tri de cellules sénescentes par cytométrie en flux. *Exc./Em. : Excitation/émission ; **C12FDG : 5-dodecanoylaminofluorescéine di-β-D-galactopyranoside ; ***DDAOG : 9H-(1, 3-dichloro-9, 9-diméthylacridine-2-one-7-yl) β-D-galactopyranoside
Dans ce protocole, les cellules sont d’abord sélectionnées en fonction du niveau de fluorescence émis par le produit résultant de l’activité de la β-Gal, puis, simultanément, selon les valeurs de FSC et de SSC. L’inverse, c’est-à-dire une sélection sur les valeurs de FSC et de SSC, puis sur le niveau de fluorescence, est également possible. Les cellules qui sont ainsi triées sont qualifiées de FSChigh/SSChigh/C12Fhigh ou DDAOhigh. Les différentes étapes du protocole sont représentées dans la Figure 1. Les résultats de tri sont présentés sous la forme d’un dot plot4 montrant les valeurs de FSC/SSC et d’activité β-Gal. Des exemples de tri de cellules en RS et de cellules cancéreuses induites en TIS sont montrés, respectivement dans la Figure 2 et la Figure 3.
Figure 1.Diagramme résumant les étapes de tri de cellules sénescentes par cytométrie en flux. |
Figure 2. Exemple de dot plot montrant les paramètres FSC, SSC et activité β-Gal utilisés pour trier des cellules sénescentes. Analyse par cytométrie en flux de fibroblastes humains normaux de derme en phase de croissance exponentielle (à gauche) ou au plateau de sénescence réplicative (à droite). Les valeurs de FSC (en abscisse) et SSC (en ordonnée) sont représentées par un graphique en points (dot plot). Les valeurs d’intensité du C12F sont représentées par un code couleur (faible en vert et forte en rouge). Dans cet exemple, les fenêtres de tri des cellules sénescentes ont été établies sur l’activité β-Gal (C12Fhigh), puis sur la taille (FCShigh) et la granularité (SSChigh). |
Figure 3. Exemple de tri d’une lignée de cellules cancéreuses induites en TIS. Les cellules cancéreuses coliques HCT116 ont été induites en TIS par un traitement à faible dose (2 nM) de SN38 (7-éthyl-10-hydroxycamptothécine), un inhibiteur de la topoisomérase I, pendant 4 jours. À gauche : représentation en graphique en points des valeurs FSC (abscisse) et SSC (ordonnée) des HCT116 parentales proliférantes (en haut) ou induites en TIS (en bas) avec matérialisation des fenêtres de tri. Les fenêtres sont matérialisées en vert (FSClow / SSClow) et en kaki (FSChigh / SSChigh). Le pourcentage de cellules dans la fenêtre FSChigh / SSChigh est indiqué. À droite : représentation en histogramme de l’intensité de fluorescence (FITC) des cellules présentes dans les fenêtres FSChigh / SSChigh, avec indication du seuil d’intensité de fluorescence utilisé pour le tri. |
Les difficultés inhérentes aux cellules sénescentes
La taille des cellules sénescentes
Trier des cellules de grande taille, comme les cellules sénescentes, nécessite d’utiliser un trieur qui peut être équipé d’une buse de diamètre suffisant. En effet, il est recommandé d’utiliser une buse dont le diamètre est cinq fois plus grand que celui des cellules à trier. En suspension, le diamètre de fibroblastes humains normaux de derme (NHDF) en RS ou en SIPS est en moyenne de 50 µm, certaines cellules atteignant 100 µm [20]. Il serait donc, en théorie, nécessaire d’utiliser une buse dont le diamètre serait de 500 µm, et qui, à notre connaissance, n’est pas disponible sur le marché. Un trieur équipé d’une buse de 200 µm de diamètre permet cependant d’obtenir des résultats très satisfaisants [19, 20]. Ce problème de taille est d’autant plus important que le type cellulaire analysé est de grande taille avant sénescence, ce qui est le cas des fibroblastes primaires, le modèle le plus utilisé dans les études sur la sénescence. Cela est moins vrai pour des cellules épithéliales. Par exemple, les kératinocytes humains normaux d’épiderme (NHEK) sénescents en suspension ont un diamètre moyen inférieur à 40 µm, les plus grands d’entre eux n’excédant pas 50 µm. Ils peuvent donc être triés avec un trieur équipé d’une buse d’un diamètre de 130 µm [15–18].
Les doublets de cellules
Les doublets résultent d’une dissociation imparfaite des cellules lors du traitement préalable (par la trypsine/EDTA5) de la suspension cellulaire à analyser. Les valeurs mesurées pour un doublet de cellules correspondent à la somme des valeurs de deux singulets, ce qui peut fausser les résultats. La règle est donc d’éliminer les doublets des fenêtres d’analyse et de tri. Cependant, la grande taille des cellules sénescentes peut conduire à confondre ces cellules avec des doublets de cellules proliférantes contaminantes, et donc à les exclure par erreur.
Les doublets sont repérés, et exclus des fenêtres de tri, en analysant l’intensité du signal FSC (FSC-H) en fonction de sa largeur (FSC-W), une grandeur qui évalue le temps que l’objet met pour passer devant les détecteurs. On considère que les évènements produisant un signal dont la largeur est supérieure à la moyenne de la population sont des doublets (deux cellules accolées mettant plus de temps pour passer devant les détecteurs qu’une cellule unique). Comme un doublet, une cellule sénescente unique, dont la taille est importante, mettra donc plus de temps à passer devant le détecteur, surtout si elle est de forme allongée, comme c’est souvent le cas pour des fibroblastes sénescents, qui conservent leur forme allongée pendant quelques heures après leur mise en suspension. Les cellules sénescentes peuvent également rester associées en doublets malgré le traitement par la trypsine. Mais ce risque est très faible, car une des caractéristiques intrinsèques des cellules sénescentes est qu’elles s’agrègent peu entre elles [26]. Plutôt que d’éliminer les doublets à l’analyse, il est ainsi préférable d’en vérifier l’absence après le traitement de dissociation par un examen au microscope.
La difficulté du réglage des photomultiplicateurs
Dans un cytomètre, les signaux lumineux sont convertis en courant électrique grâce à des tubes photomultiplicateurs (PMT). Lorsque l’on veut trier des cellules sénescentes, le réglage des PMT est assez délicat car il doit permettre de bien prendre en compte à la fois les cellules non sénescentes, qui ont des valeurs standards de FSC et SSC, et les cellules sénescentes qui, elles, peuvent présenter des valeurs de FSC et SSC très grandes. Si l’on applique un réglage de PMT standard, les cellules sénescentes les plus grosses et qui sont granulaires peuvent donc ne pas être visualisées correctement, se retrouvant alors au niveau des limites supérieures du graphe d’analyse. Dans ce cas, il peut s’avérer nécessaire d’ajouter un filtre atténuateur (Figure 4).
Figure 4. Effet d’un filtre atténuateur sur la visualisation de fibroblastes humains transformés sénescents. Analyse en taille (FSC)/structure (SSC) de populations de fibroblastes transformés par le virus SV40, proliférants (à gauche) ou induits en SIPS par traitement répété à l’hydroxyurée (à droite), avec ou sans filtre atténuateur (respectivement en bas et en haut). |
L’autofluorescence des cellules sénescentes
En raison du stress oxydant qu’elles subissent, les cellules sénescentes accumulent dans leurs lysosomes de la lipofuscine, un agrégat non dégradable, principalement formé de protéines et de lipides oxydés. La lipofuscine émet une fluorescence intrinsèque (autofluorescence) dans une large gamme de longueurs d’onde d’excitation et d’émission, qui dépendent de la composition exacte des agrégats et de leur concentration [27–29]. Des fibroblastes humains transformés par le virus SV40 et induits en SIPS par des traitements répétés par l’hydroxyurée présentent ainsi une autofluorescence dans le canal d’émission de l’isothiocyanate de fluorescéine (FITC) et dans celui de l’allophycocyanine (APC), deux canaux qui sont utilisés pour mesurer l’activité β-Gal, respectivement avec les substrats C12FDG et DDAOG (Figure 5A). Aussi, si un marqueur fluorescent est introduit comme critère de tri (dans le protocole présenté, il s’agira du substrat de la β-Gal), cette autofluorescence des cellules sénescentes, plus importante que celle des cellules non sénescentes, peut induire un biais dans l’analyse. Il est donc indispensable de réaliser deux contrôles négatifs : des cellules non sénescentes non marquées, et, surtout, des cellules sénescentes non marquées mais qui seront autofluorescentes (Figure 5).
Figure 5. Mise en évidence de l’autofluorescence des cellules sénescentes et utilisation comme marqueur additionnel de sénescence. A. Représentation en histogramme et en graphique de lignes de densité cellulaire de l’intensité de l’autofluorescence (AF) dans les canaux FITC (en ordonnée) et APC (en abscisse) de fibroblastes humains transformés par le virus SV40, proliférants (en rose) ou induits en SIPS par traitement répété à l’hydroxyurée (en bleu). B. Utilisation de l’autofluorescence en combinaison avec la sonde DDAOG pour quantifier et trier des fibroblastes transformés par le virus SV40 induits en SIPS par l’hydroxyurée (quadrant S : DDAOHigh/AFHigh). |
La sévérité du tri
Afin de sélectionner des sous-populations de cellules présentant un phénotype sénescent marqué, il est tentant de réaliser un tri sévère, par exemple de seulement 15 % des cellules. Ces populations de cellules présentant des valeurs très importantes de FSC, de SSC et d’activité β-Gal peuvent cependant avoir atteint le stade de mort cellulaire, et ne pourront pas être cultivées après le tri. Cela est particulièrement vrai lorsque la sénescence résulte d’un stress génotoxique ou d’un stress oxydant [17]. Cela est moins vrai pour des fibroblastes en RS, un sous-type de sénescence peu ou pas associée à la mort cellulaire. En règle générale, il est donc préconisé de trier 30 % de cellules sénescentes, c’est-à-dire de cellules FSChigh/SSChigh et C12F ou DDAOhigh.
Efficacité et qualité du tri
Bien que le tri de cellules de grande taille soit délicat, l’efficacité du tri de cellules sénescentes avoisine 90 % d’efficacité [20]. Les cellules sénescentes triées sont viables et sont capables d’adhérer sur des boîtes de culture cellulaire pour leur analyse, puis, éventuellement, selon le type cellulaire ou l’inducteur de sénescence utilisé, d’échapper au phénotype sénescent et d’à nouveau proliférer [17-20, 30].
Le phénotype sénescent étant multiparamétrique, nous avons vérifié qu’un tri fondé sur trois marqueurs, la taille, la granularité et l’activité β-Gal des cellules, était suffisant pour obtenir des cellules pleinement sénescentes, qui expriment également d’autres marqueurs de sénescence. Les fibroblastes humains normaux de derme (NHDF) entrés en RS et triés en fonction des trois marqueurs pré-définis présentent des foyers de 53BP1 (P53 binding protein 1), un marqueur de télomères dysfonctionnels. De plus, ces cellules ainsi triées expriment p21 (CDKN1), l’inhibiteur de cycline-CDK majoritairement impliqué dans l’arrêt du cycle cellulaire des fibroblastes en RS [20]. L’association unique de ces trois marqueurs semble donc suffisante pour obtenir, après le tri, des cellules pleinement sénescentes. Trier uniquement selon la taille et la granularité des cellules pourrait paraître suffisant, les cellules les plus positives pour l’activité β-Gal étant les cellules les plus grosses et les plus granulaires (voir [19] et Figure 2).
Le protocole qui a été développé peut s’appliquer à différents types de cellules induites en sénescence dans différents contextes. Des NHEK en SIPS spontanée in vitro [31, 30] ont été triés, en utilisant un cytomètre équipé d’une buse de 130 µm de diamètre, et uniquement selon deux paramètres : le couple FSC et SSC, ou le couple FSC et intensité de marquage spécifique des lysosomes par le Lysotracker®. Ce protocole a permis de trier des sous-populations présentant un taux différentiel de mort cellulaire versus d’échappement à la sénescence, et de montrer que ces devenirs différentiels dépendaient du niveau de stress oxydant et du niveau d’activité autophagique des sous-populations de cellules sénescentes [15–17]. Des NHDF en RS et en TIS induite par radiothérapie ont été triés quant à eux selon le protocole fondé sur les trois critères de taille, de granularité et d’activité β-Gal. La très grande taille de ces cellules a nécessité d’utiliser une buse de 200 µm de diamètre [19, 20]. Le protocole fondé sur l’utilisation des trois critères de taille, de granularité et d’activité β-Gal est désormais également appliqué à des lignées de fibroblastes transformés par le virus SV40 et induits en SIPS par un traitement répété par l’hydroxyurée (Figure 4 et Figure 5). Enfin, ce protocole a aussi été utilisé récemment pour des lignées de cellules cancéreuses induites en TIS (Figure 3). Dans ces deux derniers cas, un cytomètre équipé d’une buse de diamètre de 130 µm s’est avéré suffisant.
Les limites
Le tri des cellules sénescentes par cytométrie en flux présente les limites habituelles de la technique, la principale étant sans doute la lenteur du processus. Bien que la pureté de la population triée soit très satisfaisante, elle n’atteint jamais 100 %. Le DEPArray®6, un instrument de tri cellulaire fondé sur des critères issus d’analyses d’image, permet, en théorie, de trier des cellules avec une pureté de 100 %, mais le nombre total de cellules récupérées n’excède pas quelques milliers. Tous les cytomètres en flux-trieurs ne sont pas équipés, voire ne peuvent être équipés, d’une buse de grand diamètre. Ce qui limite leur utilisation pour l’application de ce type d’analyse.
Conclusion
Le protocole de tri de cellules sénescentes que nous avons présenté peut être adapté à différents types cellulaires qui ont été induits en sénescence dans différents contextes. Il serait possible d’augmenter le nombre de marqueurs utilisés pour le tri, en prenant en compte, par exemple, le niveau d’expression de CD26 et l’intensité du marquage par le Lysotracker, en plus des trois paramètres de taille, de granularité et d’activité β-Gal. L’autofluorescence des cellules sénescentes doit être prise en compte de façon adéquate, puisqu’elle peut interférer avec les mesures d’intensité de certains marqueurs d’intérêt. Elle pourrait aussi être utilisée comme critère de tri [21] (Figure 5B), mais les longueurs d’onde d’excitation et d’émission devraient être adaptées à chaque type cellulaire et à chaque inducteur, car la composition exacte des agrégats autofluorescents est variable et fait varier la sensibilité aux différentes longueurs d’onde. La cytométrie spectrale, qui permet de définir le spectre d’autofluorescence d’un type cellulaire sur l’ensemble du banc optique du cytomètre comme un paramètre indépendant, apporterait une solution pertinente et efficace pour définir cette autofluorescence comme un paramètre de tri.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
Les travaux présentés dans cette synthèse ont été soutenus par le CNRS, l’université de Lille, l’Institut Pasteur de Lille, la Ligue contre le cancer (Comité du Pas-de-Calais, Comité de la Somme, Comité du Nord), le Cancéropôle Nord-Ouest, le SIRIC OncoLille (Grant INCA-DGOS-Inserm 6 041), le contrat de Plan État Région CPER Cancer 2015-2020 et l’Institut national du cancer (INCA_16 078). ER et AP bénéficient d’un contrat doctoral de l’université de Lille et de la région Hauts-de-France. EG a bénéficié d’un contrat doctoral de l’Institut Pasteur de Lille et de la région Hauts-de-France. Nous remercions les services de cytométrie (campus hospitalier et campus Calmette) des Plateformes Lilloises en Biologie Santé (PLBS) – UAR 2014 – US 41.Références
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Liste des tableaux
Description et utilisation des substrats fluorigènes de la b-Gal pour le marquage et le tri de cellules sénescentes par cytométrie en flux. *Exc./Em. : Excitation/émission ; **C12FDG : 5-dodecanoylaminofluorescéine di-β-D-galactopyranoside ; ***DDAOG : 9H-(1, 3-dichloro-9, 9-diméthylacridine-2-one-7-yl) β-D-galactopyranoside
Liste des figures
Figure 1.Diagramme résumant les étapes de tri de cellules sénescentes par cytométrie en flux. | |
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Figure 2. Exemple de dot plot montrant les paramètres FSC, SSC et activité β-Gal utilisés pour trier des cellules sénescentes. Analyse par cytométrie en flux de fibroblastes humains normaux de derme en phase de croissance exponentielle (à gauche) ou au plateau de sénescence réplicative (à droite). Les valeurs de FSC (en abscisse) et SSC (en ordonnée) sont représentées par un graphique en points (dot plot). Les valeurs d’intensité du C12F sont représentées par un code couleur (faible en vert et forte en rouge). Dans cet exemple, les fenêtres de tri des cellules sénescentes ont été établies sur l’activité β-Gal (C12Fhigh), puis sur la taille (FCShigh) et la granularité (SSChigh). |
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Figure 3. Exemple de tri d’une lignée de cellules cancéreuses induites en TIS. Les cellules cancéreuses coliques HCT116 ont été induites en TIS par un traitement à faible dose (2 nM) de SN38 (7-éthyl-10-hydroxycamptothécine), un inhibiteur de la topoisomérase I, pendant 4 jours. À gauche : représentation en graphique en points des valeurs FSC (abscisse) et SSC (ordonnée) des HCT116 parentales proliférantes (en haut) ou induites en TIS (en bas) avec matérialisation des fenêtres de tri. Les fenêtres sont matérialisées en vert (FSClow / SSClow) et en kaki (FSChigh / SSChigh). Le pourcentage de cellules dans la fenêtre FSChigh / SSChigh est indiqué. À droite : représentation en histogramme de l’intensité de fluorescence (FITC) des cellules présentes dans les fenêtres FSChigh / SSChigh, avec indication du seuil d’intensité de fluorescence utilisé pour le tri. |
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Figure 4. Effet d’un filtre atténuateur sur la visualisation de fibroblastes humains transformés sénescents. Analyse en taille (FSC)/structure (SSC) de populations de fibroblastes transformés par le virus SV40, proliférants (à gauche) ou induits en SIPS par traitement répété à l’hydroxyurée (à droite), avec ou sans filtre atténuateur (respectivement en bas et en haut). |
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Figure 5. Mise en évidence de l’autofluorescence des cellules sénescentes et utilisation comme marqueur additionnel de sénescence. A. Représentation en histogramme et en graphique de lignes de densité cellulaire de l’intensité de l’autofluorescence (AF) dans les canaux FITC (en ordonnée) et APC (en abscisse) de fibroblastes humains transformés par le virus SV40, proliférants (en rose) ou induits en SIPS par traitement répété à l’hydroxyurée (en bleu). B. Utilisation de l’autofluorescence en combinaison avec la sonde DDAOG pour quantifier et trier des fibroblastes transformés par le virus SV40 induits en SIPS par l’hydroxyurée (quadrant S : DDAOHigh/AFHigh). |
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