Numéro |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 3, Mars 2024
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Page(s) | 234 - 237 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | ||
Publié en ligne | 22 mars 2024 |
RAD51 au cœur de l’équilibre entre cancer et vieillissement
RAD51 at the heart of the balance between cancer and aging
Gabriel Matos-Rodrigues1, Bernard S. Lopez2* et Emmanuelle Martini3**
1
Laboratory of genome integrity, National cancer institute, National institute of health, Bethesda, États-Unis
2
Université de Paris, Inserm U1016, CNRS UMR 8104,Institut Cochin, Paris, France
3
Université de Paris et université Paris-Saclay, Laboratoire de développement des gonades, Institut de radiobiologie cellulaire et moléculaire / Institut de biologie François Jacob, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), UMR Stabilité génétique, cellules souches,et radiation, Fontenay-aux-Roses, France
L’instabilité génétique est une caractéristique des cellules cancéreuses ou vieillissantes [1, 2]. Pour maintenir la stabilité du génome, la réponse aux dommages de l’ADN (DNA damage response, DDR) coordonne la progression du cycle cellulaire et la réparation de l’ADN avec la sénescence et la mort cellulaire. Notamment, l’activation de la DDR, qui serait déclenchée en réponse à un stress de réplication endogène, a été observée aux stades précoces de la sénescence et du cancer, et même au stade pré-cancéreux, ce qui suggère que l’instabilité génomique représente une étape initiale dans la tumorigenèse [3–5]. Bien que le vieillissement soit reconnu comme un facteur de risque de cancer, les mécanismes qui sous-tendent l’équilibre entre la dégénérescence des tissus conduisant au vieillissement et la transformation maligne des cellules, après l’altération des voies de réparation de l’ADN, restent à explorer [1, 2].
La recombinaison homologue
La recombinaison homologue, un mécanisme de réparation de l’ADN très conservé au cours de l’évolution des espèces, conduit à l’échange de brins d’ADN présentant des homologies de séquence nucléotidique, et joue donc un rôle essentiel dans la plasticité du génome. Elle est impliquée dans la réparation des cassures double-brin ou des pontages inter-brins de l’ADN, et joue également un rôle essentiel dans la protection des fourches de réplication de l’ADN arrêtées et dans la reprise de la réplication [6].
La recombinaison homologue débute par la résection des extrémités de l’ADN produisant des extrémités d’ADN simple brin 3’ (3’ADNsb). Ces extrémités 3’ADNsb sont d’abord recouvertes et protégées par la protéine de réplication A (RPA). Ensuite, le complexe BRCA2 (breast cancer 2) / PALB2 (partner and localizer of BRCA2) déplace le complexe RPA et le remplace par la protéine RAD51, formant un filament RAD51-ADNsb. Ce filament promeut la recherche d’homologie de séquence et l’invasion d’une séquence duplex homologue, formant alors des intermédiaires de recombinaison homologue, qui seront ensuite résolus pour rétablir la continuité de l’ADN (Figure 1). La protéine RAD51 joue donc un rôle central à l’étape critique de la recombinaison homologue : la recherche d’homologie et l’échange de séquences homologues (qui donne son nom au mécanisme).
Figure 1. Les étapes de la recombinaison homologue pour réparer des cassures double brin de l’ADN. Après une cassure double brin de l’ADN, une résection des extrémités double-brin produit des ADN simple brin 3’ (3’ADNsb), qui sont couverts et protégés par la protéine de réplication A (replication protein A, RPA). Un complexe protéique incluant BRCA1, BRCA2, et PALB2 déplace ensuite la protéine RPA et la remplace par RAD51, formant le filament ADNsb/RAD51. Ce filament favorise la recherche d’homologie et l’invasion d’une séquence homologue (ligne rouge), et représente donc l’espèce moléculaire « active » du processus de recombinaison homologue. La dernière étape de ce processus (non représentée) est la résolution des intermédiaires de recombinaison créés par l’action du filament ADNsb/RAD51, aboutissant à une conversion génique (échange non réciproque de segments d’ADN) associée (à droite) ou non (à gauche) à un crossing-over (échange réciproque des segments d’ADN adjacents). |
Recombinaison homologue et cancer : le « paradoxe RAD51 »
En raison de son importance dans le maintien de la stabilité du génome, la recombinaison homologue est généralement considérée comme un mécanisme de suppression des tumeurs. En accord avec cette théorie, de nombreux gènes impliqués dans la recombinaison homologue sont altérés dans les cancers héréditaires du sein ou de l’ovaire, mais aussi dans des tumeurs sporadiques [7]. Cependant, malgré le rôle central de RAD51 dans la recombinaison homologue (Figure 1), rien n’indique que l’inactivation de cette protéine puisse être responsable de développement tumoral [7]. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour tenter d’expliquer ce « paradoxe RAD51 » [7–9]. L’une d’elles est fondée sur le fait que des protéines médiatrices ou accessoires mutées dans le cancer, telles que BRCA1, BRCA2 ou PALB2, favorisent le chargement et la stabilisation de RAD51 sur l’ADNsb. Les mutations affectant l’une de ces protéines entraînent l’absence de RAD51 sur l’ADN endommagé, qui devient alors accessible à d’autres processus de réparation mutagènes (i.e., non-conservatifs), tels que le single strand annealing (SSA) ou l’alternative end-joining (A-EJ), ce qui accroîtrait l’instabilité du génome. La suppression des médiateurs de RAD51 a donc pour conséquence, non seulement la suppression de la réparation conservatrice de l’ADN par la recombinaison homologue, mais aussi la mise en jeu concomitante des processus de réparation mutagènes de l’ADN [9, 10]. Ces processus non conservatifs pourraient compenser la diminution de viabilité cellulaire résultant de la suppression de la recombinaison homologue, mais au détriment de la stabilité du génome. L’hypothèse susmentionnée soulève donc la question suivante : l’oncogenèse résulte-t-elle uniquement de la suppression de la recombinaison homologue ou nécessite-t-elle l’activation de processus de réparation de l’ADN non conservatifs ?
L’inhibition de l’activité de RAD51 dans la recombinaison homologue induit un vieillissement prématuré des souris et les protège contre la tumorigenèse
Les modèles murins sont des outils essentiels pour étudier la carcinogenèse et le vieillissement in vivo. Cependant, la plupart des gènes impliqués dans la recombinaison homologue sont vitaux, et leur inactivation ubiquitaire chez la souris entraîne une létalité embryonnaire précoce. Des stratégies d’inactivation partielle ou conditionnelle de ces gènes ont permis de confirmer la corrélation avec le développement tumoral. Néanmoins, en dépit du rôle primordial de RAD51 dans la recombinaison homologue, aucune stratégie alternative n’avait encore été mise en œuvre pour analyser l’impact de sa déficience in vivo [11].
En plus d’être essentielle à la recombinaison homologue, la fixation de RAD51 à l’ADN endommagé protège les fourches de réplication et empêche l’ADN endommagé d’être réparé par des processus mutagènes [9, 10]. Afin de pouvoir analyser séparément le rôle propre de RAD51 et celui de la recombinaison homologue dans le maintien de la stabilité du génome ainsi que dans la protection contre le cancer et le vieillissement prématuré, nous avons tiré parti d’une forme mutée de RAD51 (SMRAD51) dont la présence supprime l’activité de la protéine endogène dans la recombinaison homologue (par un effet « dominant négatif »), mais qui conserve sa capacité de liaison à l’ADN endommagé, qu’elle protège contre la réparation non-conservative [8, 10]. Nous avons conçu deux modèles de souris avec une expression conditionnelle exogène et ubiquitaire de SMRAD51 pour l’un, ou de la forme non mutée de RAD51 pour l’autre, utilisé comme témoin. L’expression des transgènes est induite par l’apport de doxycycline (en injection ou dans la nourriture) après la naissance des souriceaux, ce qui permet de s’affranchir de la létalité embryonnaire de la mutation. Nous avons constaté que la suppression de la recombinaison homologue par l’expression de SMRAD51 entraînait un stress de réplication de l’ADN, une inflammation généralisée et l’épuisement des cellules souches progénitrices, et à l’échelle de l’organisme entier, un vieillissement prématuré et une réduction de la durée de vie. Étonnamment cependant, elle n’induisait pas la formation de tumeurs. Qui plus est, en croisant les souris exprimant SMRAD51 avec des souris prédisposées au cancer du sein par expression de la protéine oncogénique polyoma middle T dans l’épithélium mammaire, nous avons constaté une diminution de la fréquence et de la taille des tumeurs mammaires, révélant un effet antagoniste de SMRAD51 sur le développement de ces tumeurs [8] (Figure 2).
Figure 2. Inhibition in vivo de l’activité de recombinaison homologue de RAD51 par expression d’une protéine mutée : conséquences sur le vieillissement et la formation tumorale. En haut : La protéine RAD51 se lie à l’ADN simple brin, ce qui empêche la réparation non conservative par single strand annealing (SSA) ou alternative end-joining (A-EJ), protège les fourches de réplication bloquées de la dégradation, et favorise l’échange de brins d’ADN. L’échange de brins conduit à la recombinaison homologue et favorise le redémarrage des fourches de réplication de l’ADN arrêtées. En bas : La protéine RAD51 mutée (SMRAD51) se lie à l’ADN simple brin, empêchant ainsi la réparation non conservative (par SSA ou A-EJ) et protégeant les fourches de réplication bloquées de la dégradation. Cependant, la présence de SMRAD51, par son effet dominant négatif sur la protéine endogène, empêche l’échange de brins d’ADN, altérant ainsi à la fois la réparation par recombinaison homologue et le redémarrage des fourches de réplication bloquées, ce qui entraîne un stress de réplication affectant les cellules en division, donc les cellules tumorales et les cellules souches progénitrices. Cela entrave la progression tumorale et conduit à un épuisement de la réserve de cellules souches progénitrices qui empêche le renouvellement des tissus et entraîne un vieillissement prématuré. Les déficiences combinées de différents tissus réduisent la durée de vie. L’inflammation généralisée (qui peut résulter du stress de réplication de l’ADN) peut également amplifier le vieillissement prématuré et la réduction de la longévité. |
L’altération des cellules qui se divisent activement rend compte du phénotype des souris mutantes SMRAD51
Nous avons montré que la protéine mutante SMRAD51, en accord avec le maintien de sa capacité de liaison à l’ADN, protège de la dégradation les fourches de réplication de l’ADN arrêtées, mais elle empêche la reprise de la réplication (en raison de la suppression de l’activité d’échange de brins d’ADN), ce qui conduit finalement à un stress de réplication [8]. Ce stress devrait donc affecter plus particulièrement les cellules qui se divisent activement, notamment les cellules souches progénitrices. Il en résulterait un épuisement de la réserve de cellules progénitrices empêchant le renouvellement des tissus, et qui pourrait rendre compte du vieillissement accéléré chez les souris SMRAD51. Quant à la réduction de la longévité, elle peut s’expliquer par le cumul des défauts dans les différents tissus (à cause de l’attrition du pool de cellules progénitrices). D’autres effets de la mutation de RAD51, tels que l’inflammation généralisée consécutive au stress de réplication, pourraient aussi contribuer au vieillissement prématuré.
Les cellules transformées se divisent activement, et répliquent donc rapidement leur génome. Par conséquent, l’inactivation du processus de recombinaison homologue (sans activation concomitante des processus non conservatifs de réparation de l’ADN) chez les souris SMRAD51, en affectant préférentiellement les cellules en prolifération, empêche vraisemblablement l’expansion des cellules transformées et, de ce fait, le développement de tumeurs cancéreuses. De plus, l’induction de cytokines inflammatoires chez ces souris pourrait favoriser l’élimination, par le système immunitaire, des cellules dont le génome est instable (Figure 2).
Ainsi, la tumorigenèse nécessiterait de combiner la non protection des fourches de réplication, ainsi que les processus non conservatifs de réparation de l’ADN, avec l’inhibition du mécanisme, conservatif, de la recombinaison homologue. Isolément, cette inhibition entraîne en effet un vieillissement accéléré, mais sans favoriser le cancer, auquel elle peut même s’opposer [8]. Nos résultats expérimentaux chez la souris soulignent l’importance de l’activité de la protéine RAD51 pour l’homéostasie des cellules souches, la prévention du vieillissement et, plus généralement, pour l’équilibre entre tumorigenèse et vieillissement. En effet, ils mettent en lumière une possible concurrence, plutôt que la coopération, entre vieillissement et tumorigenèse : RAD51 protège contre le vieillissement prématuré, mais pourrait favoriser le développement tumoral par l’intermédiaire du processus de recombinaison homologue, auquel elle contribue.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Hanahan D, Weinberg RA. Hallmarks of cancer : The next generation. Cell 2011 ; 144 : 646–674.
- López-Otín C, Pietrocola F, Roiz-Valle D, et al. Meta-hallmarks of aging and cancer. Cell Metab 2023; 35 : 12–35.
- Bartkova J, Horejsi Z, Koed K, et al. DNA damage response as a candidate anti-cancer barrier in early human tumorigenesis. Nature 2005 ; 434 : 864–870.
- Gorgoulis VG, Vassiliou L V, Karakaidos P, et al. Activation of the DNA damage checkpoint and genomic instability in human precancerous lesions. Nature 2005 ; 434 : 907–913.
- Bartkova J, Rezaei N, Liontos M, et al. Oncogene-induced senescence is part of the tumorigenesis barrier imposed by DNA damage checkpoints. Nature 2006 ; 444 : 633–637.
- Haber JE. Genome stability. DNA repair and recombination. 1st ed. New York, NY, USA : Garland Science, 2014.
- Matos-Rodrigues G, Guirouilh-Barbat J, Martini E, et al. Homologous recombination, cancer and the “RAD51 paradox”. NAR Cancer 2021; 3 : zcab016.
- Matos-Rodrigues G, Barroca V, Muhammad A, et al. In vivo reduction of RAD51-mediated homologous recombination triggers aging but impairs oncogenesis. EMBO J 2023 ; 42 : 1–21.
- Thomas M, Dubacq C, Rabut E, et al. Noncanonical roles of RAD51. Cells 2023 ; 12 : 1 169.
- So A, Dardillac E, Muhammad A, et al. RAD51 protects against nonconservative DNA double-strand break repair through a nonenzymatic function. Nucleic Acids Res 2022; 50 : 2 651–66.
- Matos-Rodrigues G, Martini E, Lopez BS. Mouse models for deciphering the impact of homologous recombination on tumorigenesis. Cancers (Basel) 2021; 13 : 2 083.
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Liste des figures
Figure 1. Les étapes de la recombinaison homologue pour réparer des cassures double brin de l’ADN. Après une cassure double brin de l’ADN, une résection des extrémités double-brin produit des ADN simple brin 3’ (3’ADNsb), qui sont couverts et protégés par la protéine de réplication A (replication protein A, RPA). Un complexe protéique incluant BRCA1, BRCA2, et PALB2 déplace ensuite la protéine RPA et la remplace par RAD51, formant le filament ADNsb/RAD51. Ce filament favorise la recherche d’homologie et l’invasion d’une séquence homologue (ligne rouge), et représente donc l’espèce moléculaire « active » du processus de recombinaison homologue. La dernière étape de ce processus (non représentée) est la résolution des intermédiaires de recombinaison créés par l’action du filament ADNsb/RAD51, aboutissant à une conversion génique (échange non réciproque de segments d’ADN) associée (à droite) ou non (à gauche) à un crossing-over (échange réciproque des segments d’ADN adjacents). |
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Figure 2. Inhibition in vivo de l’activité de recombinaison homologue de RAD51 par expression d’une protéine mutée : conséquences sur le vieillissement et la formation tumorale. En haut : La protéine RAD51 se lie à l’ADN simple brin, ce qui empêche la réparation non conservative par single strand annealing (SSA) ou alternative end-joining (A-EJ), protège les fourches de réplication bloquées de la dégradation, et favorise l’échange de brins d’ADN. L’échange de brins conduit à la recombinaison homologue et favorise le redémarrage des fourches de réplication de l’ADN arrêtées. En bas : La protéine RAD51 mutée (SMRAD51) se lie à l’ADN simple brin, empêchant ainsi la réparation non conservative (par SSA ou A-EJ) et protégeant les fourches de réplication bloquées de la dégradation. Cependant, la présence de SMRAD51, par son effet dominant négatif sur la protéine endogène, empêche l’échange de brins d’ADN, altérant ainsi à la fois la réparation par recombinaison homologue et le redémarrage des fourches de réplication bloquées, ce qui entraîne un stress de réplication affectant les cellules en division, donc les cellules tumorales et les cellules souches progénitrices. Cela entrave la progression tumorale et conduit à un épuisement de la réserve de cellules souches progénitrices qui empêche le renouvellement des tissus et entraîne un vieillissement prématuré. Les déficiences combinées de différents tissus réduisent la durée de vie. L’inflammation généralisée (qui peut résulter du stress de réplication de l’ADN) peut également amplifier le vieillissement prématuré et la réduction de la longévité. |
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